La Montagne

Lumière dans la nuit

Un voile blanc tapissé d’une myriade d’astres brillants traverse le ciel d’été du nord au sud : c’est la voie lactée, notre galaxie vue en profondeur. Elle contient quelque deux cent milliards d’étoiles, du gaz, des poussières, d’autres planètes… Le Soleil appartient à ce grand ensemble. Beaucoup de gens n’ont jamais pu admirer ce spectacle. Les splendeurs de la voûte céleste devraient être bien visibles et l’étaient il n’y a pas si longtemps. C’est récemment que les cieux nocturnes ont été dépouillés de leur véritable beauté par le halo dispensé par des milliers de lumières à travers notre Terre.

Les nuits ne sont plus ce qu’elles étaient. Les lumières des hommes éteignent l’éclat des étoiles. La lumière émise par les divers éclairages urbains est diffusée par les molécules d’air et de vapeur d’eau de l’atmosphère. Cela se traduit par une lueur générale qui masque la noirceur du ciel nocturne, c’est la pollution lumineuse.

Aujourd’hui, très peu d’enfants peuvent dire qu’ils ont vu a la Voie lactée » dont on leur parle à l’école. Ce spectacle splendide, et gratuit en plus, un des rares qui nous aide à réaliser notre vraie place dans l’univers, est complètement caché à toute une génération.

Les photos de la Terre la nuit, prises depuis l’espace par des satellites, sont très significatives, notre planète est éclairée par les hommes, il serait intéressant de savoir l’influence sur l’albédo (lumière reçue du Soleil et diffusée par la Terre) de l’éclairage nocturne terrestre. L’Europe est dominée par le croissant lumineux Londres-Milan, le littoral est une ligne lumineuse, le centre de la France, tout le Massif central est encore bien protégé, toute une zone noire, piquée çà et là de petits points lumineux, le ciel profond est encore trouvable chez nous, cela devrait devenir un argument touristique dans le futur si nous maîtrisons bien le problème de l’éclairage nocturne. Demain, peut-être la nuit noire représentera-t-elle un atout touristique aussi précieux que le silence.

La pollution lumineuse résulte d’un excès d’éclairage qui coûte cher à la communauté, mais surtout de l’aberration qui consiste à utiliser des sources puissantes, visibles de partout car rayonnant partout. La nuisance de telles sources est redoutable à plusieurs kilomètres. Sur la rétine, l’image d’une lampe lointaine est certes plus petite mais tout aussi lumineuse que celle d’une lampe proche (par conservation de la luminance) et reste donc très gênante. Cessons ce mitraillage lumineux tous azimuts : éclairage public mal conçu, lotissements écrasés sous des kilowatts imbéciles dirigés n’importe où, halogènes publicitaires meurtriers, gares, usines, parkings, fusillant les rétines à plusieurs kilomètres à la ronde.

Les remèdes, utiliser des lampadaires à réflecteur, dirigeant la lumière là où elle est nécessaire et interdisant donc de voir directement les lampes partout ailleurs. C’est exactement ce que fait le particulier lisant son journal sous un abat-jour l’ampoule est masquée, le journal parfaitement éclairé.

Utiliser des lampes au sodium basse pression, elles possèdent un meilleur rendement lumineux et elles produisent une lumière presque monochromatique, de couleur jaune-orange, c’est-à-dire la bande du spectre dans laquelle l’oeil humain a le maximum de sensibilité : c’est donc vraiment la couleur adaptée à l’homme. Son coût d’achat est un peu plus élevé mais, pour un même éclairement, ces lampes consomment 2 à 3 fois moins d’énergie que les autres types de lampe, et leur lumière n’est jamais éblouissante, com­me celles des lampes blanches à vapeur de mercure.

Cette solution appliquée à Los Angeles, aux USA, a transfiguré la vie nocturne : on retrouve un confort et une paix oublié depuis longtemps, on y voit bien mieux (puisque le rapport signal/bruit, catastrophique quand les ampoules sont visibles devient excellent) ; et puis enfin, on réalise de belles économies et… on peut à nouveau admirer le ciel. Ainsi la Voie lactée est à nouveau visible à Los Angeles.

D’autres arguments jouent aussi en faveur d’une meilleure maîtrise de l’éclairage nocturne : l’arbre règle tous ses cycles biologiques sur les alternances du jour et de la nuit, de l’hiver et de l’été. La lumière artificielle peut le perturber et le rendre plus vulnérable à l’attaque d’agents pathogènes. C’est aussi un problème pour la faune et notamment pour les oiseaux.

Certains animaux, chauves-souris, rapaces nocturnes, insectes chassent la nuit et voient aujourd’hui leurs territoires de chasse se rétrécir dramatiquement devant l’extension continue de l’éclairage. Ceci peut conduire à un déséquilibre entre les espèces. Deux merveilleux papillons nocturnes, le sphinx « tête de mort » et le sphinx « du laurier rose », migrent chaque année d’Afrique en. Scandinavie. Aujourd’hui, cette migration s’achève pour la plupart en France ou en Belgique ; ils sont bloqués et décimés par les lampadaires qui exercent sur eux une attirance irrésistible.

Article publié dans le journal « La Montagne » en mai 1996

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