Les grandes oreilles des astronomes

Dans les années 1860, le physicien anglais Maxwell élaborait la théorie des ondes électromagnétiques, c’est à dire de la propagation dans l’espace de champs magnétiques associés. Ces champs varient régulièrement dans le temps, retrouvant une même valeur un certain nombre de fois par seconde ; ce nombre s’appelle la fréquence, mesurée en hertz (hz).
Dans le vide, une onde électromagnétique se propage à la vitesse c = 300.000 km/s. En divisant c par la fréquence de l’onde, on obtient la longueur d’onde. La valeur de cette longueur d’onde conditionne le comportement d’une onde électromagnétique vis-à-vis de la matière, la façon dont on les perçoit et les utilisations possibles. Ainsi, la lumière visible correspond à des valeurs de la longueur d’onde allant de 400 milliardièmes de mètre (ou nanomètres, nm), et l’on perçoit alors du violet, à 800 nm, et l’on perçoit du rouge.
En 1887, l’allemand Hertz produisait et analysait d’autres ondes électromagnétiques aux propriétés pratiques bien différentes : les ondes hertziennes, ou ondes radio, sur lesquelles reposent depuis nos systèmes de télécommunication sans fil.
Leurs longueurs d’onde varient de quelques millimètres à quelques kilomètres, par exemple, la longueur d’onde est d’un peu plus de trois mètres pour une émission en modulation de fréquence à 90 mHz. De même que les ondes lumineuses, les ondes radio se déplacent à la vitesse c dans le vide, et peuvent être absorbées, diffusées ou réfléchies selon les matériaux qu’elles rencontrent.
Des radars reconvertis à l’observatoire de Nançay
La Seconde Guerre mondiale vit le développement des radars, émetteurs d’ondes radio qu’ils détectent ensuite après qu’elles ont été réfléchies par les obstacles qu’elles rencontrent ; ces radars recevaient aussi le « bruit » d’origine cosmique, et l’on découvrit ainsi fortuitement l’émission radio du Soleil.
Le professeur Yves Rocard, travaillant à Londres pour les Forces navales françaises libres, eut connaissance de ces observations, et, dès 1946, lança en France un programme de radioastronomie. Les premiers instruments utilisés n’étaient autres que d’anciens radars militaires allemands ou américains !
De même qu’en astronomie optique, les signaux qui intéressent les radioastronomes sont, à l’exception du rayonnement solaire, de faible intensité. Il faut donc les collecter sur une grande surface avant de les concentrer sur un récepteur très sensible, c’est-à-dire réaliser un radiotélescope. Pour les ondes centimétriques à décamétriques étudiées, un fin grillage métallique constitue un excellent miroir, mais un bon pouvoir séparateur nécessite une très grande surface collectrice. Ceci explique les spectaculaires réalisations entreprises à partir de 1953 à Nançay, dans le Cher.
Radioastronomie solaire
L’enregistrement quotidien de l’activité solaire, depuis quarante ans, est une des fiertés de l’observatoire ; cette collecte incessante a permis à ses chercheurs d’obtenir des résultats marquants, comme la découverte de « sursauts » d’activité radioélectrique, associés à l’émission de particules de haute énergie. Ces particules parviennent jusqu’à la Terre et pénètrent l’atmosphère dans les régions polaires, provoquant les féeriques aurores boréales. L’instrument principal actuel, le radiohéliographe, est constitué de deux rangées croisées d’antennes paraboliques de trois à dix mètres de diamètre : 18 antennes alignées d’est en ouest sur 3.200 m et 24 antennes alignées du nord au sud sur 1.250 m. Le tout est bien sûr sous contrôle informatique combinant les signaux reçus pour former une « image » très fine de l’activité de la couronne solaire.
Le grand radiotélescope décimétrique
Inauguré en 1965 par le général de Gaulle, c’est le symbole de l’observatoire. Son principe : un miroir plan renvoie le rayonnement vers un miroir secondaire sphérique qui le concentre en son foyer où sont placés les récepteurs. Ses dimensions et la qualité de sa réalisation en font un chef-d’oeuvre de technologie : le miroir primaire est formé de la juxtaposition de dix panneaux de 20 m x 40 m, d’une masse de 40 tonnes, tendus d’un grillage carré de 12 mm ; mobiles individuellement autour d’un axe horizontal, ces dix panneaux s’ajustent si bien dans un même plan qu’une expertise récente n’a mesuré que des écarts d’au plus 3 mm! C’est également la précision avec laquelle a été réalisé le miroir secondaire, sur 300 m de largeur et 35 m de hauteur! Cet instrument a été optimisé pour la longueur d’onde de 21 cm, d’une extrême importance cosmologique car il s’agit d’un rayonnement émis par les atomes d’hydrogène, présents en grande quantité dans tout l’univers. Les données qu’il recueille 24 heures sur 24 et 365 jours par an permettent ainsi de mesurer la vitesse de rotation d’une galaxie sur elle-même et donc d’estimer sa masse et finalement sa distance, ou encore de localiser les pulsars, ces horloges cosmiques émettant des » bips » radio avec une régularité surprenante.
Perspectives
Si les antennes restent en place plusieurs dizaines d’années, les instruments n’en sont pas moins en perfectionnement continu : pilotage par ordinateur, amélioration des détecteurs, méthodes Informatiques de traitement des données, tous ces progrès permettent à Nançay de tenir sort rang parmi les meilleurs observatoires mondiaux.
A titre d’exemple, la sensibilité de détection des faibles signaux est aujourd’hui telle qu’il faut prendre en compte des bruits radio aussi faibles que le rayonnement émis par le sol et la végétation ! Une cinquantaine d’ingénieurs et techniciens travaillant en permanence sur le site assurent cet effort constant d’entretien et d’innovation, Ces spécialistes, lei l’ingénieur Bernard Darchy qui nous a accueillis à Nançay, travaillent en étroite collaboration avec les astronomes pour assurer l’utilisation optimale des instruments.
Le projet qu’ils défendent aujourd’hui permettrait d’accéder à des radiosources deux fois plus lointaines. Un progrès technique potentiellement riche de nouvelles découvertes, pour un budget de 14 millions de francs; un montant loin d’être « astronomique » et qui parait une goutte d’eau devant certaines dépenses, mais l’heure est malheureusement à l’austérité !
Souhaitons que la recherche scientifique reste une priorité, ainsi que l’a affirmé le ministre Bayrou lots du débat budgétaire, et que les « grandes oreilles des astronomes français ne cessent de progresser.
Article publié dans le journal « La Montagne » en décembre 1995