Sous le Soleil exactement

Au centre des interrogations de l’homme depuis des millénaires, le Soleil exerce toujours la même fascination et n’en finit pas de livrer ses secrets aux astronomes er scientifiques amateurs.
Dans ce Joyeux hommage au Soleil composé pour la fête maçonnique du solstice d’été, Mozart souligne la puissance et la générosité de notre étoile : « Sans toi nous ne vivrions pas. Toi seul dispense nourriture, chaleur, lumière. » C’est là une évidence aussi vieille que la civilisation : Chinois, Mayas, Aztèques, Chaldéens, Egyptiens, Grecs ou Romains lui rendaient un culte, et l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert le qualifiait de «premier objet de l’idolâtrie.»
Notons à ce sujet la curieuse ambivalence des sentiments qu’inspire cet astre flamboyant : il est dispensateur de vie, symbole de puissance et d’omniscience, mais aussi agent de mort et de destruction lorsque sa force se déchaîne sans contrôle (Phaéton), dieu guerrier assoiffé de sang chez les Aztèques, voire, pour un célèbre patient de Freud, «l’oeil de Dieu » qui le poursuivait et le transperçait de ses rayons.
Après avoir été pendant des millénaires l’objet de spéculations mythologiques et religieuses, le Soleil est devenu le sujet privilégié de l’astronomie scientifique. Il suscite toujours aujourd’hui des recherches actives, d’autant plus fascinantes que nos générations sont les premières à obtenir enfin des réponses satisfaisantes aux questions parfois angoissantes concernant le fonctionnement et le devenir de notre étoile.
N’oublions pas que si des humains furent sacrifiés par dizaines de milliers au dieu-soleil Huitzilopochtli des Aztèques, c’était pour lui fournir quotidiennement le sang qui lui donnait la force de se mouvoir et d’éclairer le monde
Cette semaine et la semaine prochaine, nous allons retracer à grands traits le chemin long et ardu qui a conduit à dépouiller le Soleil de son caractère divin pour reconnaître en lui une étoile de même nature que les petits points brillants qui constellent le ciel nocturne.
Un prochain article sera consacré à la description du fonctionnement et de l’évolution de notre étoile, de sa naissance à sa fin.
Le cosmos d’Aristote
Voici vingt-cinq siècles, rompant avec les interprétations mythologiques, les philosophes grecs cherchèrent à décrire par des modèles mécaniques les phénomènes astronomiques. Complété et définitivement exposé dans l’Almageste de Ptolémée au deuxième siècle de notre ère, le système d’Aristote s’est imposé.
C’est une construction géocentrique, c’est-à-dire plaçant la Terre au centre de l’Univers. Sa caractéristique principale, en est la distinction entre le monde terrestre (« sublunaire », lieu de l’imperfection et de la corruption, et le cosmos, au-delà de l’orbite de la Lune, lieu de la perfection, de la pureté. Selon ce postulat métaphysique, la vie, le changement, sont donc réservés à la Terre, alors que les cieux sont parfaits et immuables. Les astres ainsi idéalisés sont censés se déplacer à vitesse constante sur des sphères, formes géométriques parfaites, ce qui oblige à imaginer plusieurs dizaines de sphères emboîtées pour rendre compte de tous les mouvements `observés.
Pour ce qui est de la nature du Soleil, alors que certains y voyaient une boule de feu, Aristote refusait de l’expliquer à partir des éléments habituels du monde sublunaire, corruptibles, et invoquait un élément spécifique, parfait et éternel, l’éther.
La révolution copernicienne
Cette description géocentrique de l’Univers fit autorité jusqu’au XVI` siècle où Copernic proposa un système héliocentrique dans lequel les planètes tournaient autour du Soleil.
Copernic divulgua ses idées avec prudence, et plus de trente ans s’écoulèrent entre ses premiers exposés dans des lettres privées et la publication de son oeuvre maîtresse De Revolutionibus orbium coelestium
en 1543, l’année de sa mort à l’âge de soixante-dix ans.
Copernic était chanoine, et on comprendra ses réticences en pensant au sort de Giordano Bruno, brûlé en 1600, ou de Galilée, finissant ses jours réduit au silence en résidence surveillée après avoir été contraint à l’abjuration en 1633, l’un et l’autre pour avoir scruté les mystères célestes dans une optique condamnée par l’Eglise…
Des observations décisives
C’est à Galilée, muni d’une lunette fort modeste, qu’il faut attribuer les premières observations décisives en faveur du système de Copernic : les phases de Vénus, analogues aux phases de la Lune, qui mettaient en évidence son mouvement autour du Soleil, et les principaux satellites tournant autour de Jupiter, montrant clairement que la Terre n’était pas le centre du monde.
D’autre part, en même temps que d’autres observateurs, vers 1610, il observa les cratères et les montagnes lunaires, ainsi que des « taches » à la surface du Soleil, ce qui montrait bien que les astres, loin d’être « éthérés », sont de nature matérielle et imparfaite.
Curieusement, des astronomes chinois avaient signalé de telles taches bien longtemps auparavant, mais durant plus de vingt siècles elles furent «invisibles» aux Occidentaux ; Il fallait que l’autorité d’Aristote soit bien aveuglante.
Rappelons au passage qu’il ne faut jamais observer le Soleil au travers d’un instrument d’optique, quel qu’il soit, sous peine de brûlures rétiniennes.
Par contre, Il est très facile et sans aucun danger de projeter son image sur un écran à l’aide d’un instrument muni de son oculaire ; les taches, s’il y en a au moment de l’observation, sont alors facilement visibles.
(A suivre…)
Article publié dans le journal « La Montagne » en septembre 1995